dimanche 27 septembre 2015

De l'étude à la conservation, en Colombie



par Viateur Boutot
Espèce illustrée : Masdevallia peristeria

Le ministère de l'Environnement de la Colombie [MADS]1 a rendu public, le 5 mai 2015, un plan de conservation intitulé Plan para el estudio y la conservación de las orquídeas en Colombia2. Dans le volumineux document, les auteurs précisent que le nombre d'espèces identifiées, dont une distribution colombienne a été établie, totalise 4 270, ces orchidées étant classées dans 274 genres.

Compte tenu que la Colombie est l'un des pays les plus riches de la planète en matière de biodiversité, en raison de ses caractéristiques géographiques, topographiques et climatiques – notamment, la division des Andes en trois cordillères, sa façade sur l'océan Pacifique et son ouverture sur la mer des Caraïbes – le pays peut certes prétendre posséder sur son territoire le plus grand nombre d'espèces d'orchidées. Toutefois, dans l'état actuel des recherches sur les orchidées, un nombre comparable d'espèces collectées en Équateur ont été décrites3.

Cependant, il est fort probable que, si les conditions de recherche étaient plus favorables, un grand nombre d'espèces seraient ajoutées à la liste des orchidées présentes sur le territoire colombien. D'une part, plusieurs régions demeurent inexplorées par les chercheurs et, d'autre part, il est prévisible que des espèces, dont une distribution dans le pays voisin, l'Équateur, a été établie, soient également présentes en Colombie.
Espèce illustrée : Cyrtochilum annulare

Les auteurs du document avaient comme objectifs, en accord avec le mandat qui leur a été confié par le MADS, de répertorier les renseignements disponibles sur les espèces d'orchidées du pays et d'établir leur distribution dans les différentes régions du pays, de même que l'ampleur des menaces qui pèsent sur les populations pour, par la suite, proposer des mesures de conservation. Cette initiative découle d'une première collaboration entre le Ministère et l'Université nationale de Colombie qui, en 2013, avaient uni leurs efforts en vue de la gestion et de la conservation de certaines plantes. Dans ce cadre, est né un programme pour l'étude et la conservation des orchidées de Colombie4.

Ce programme a débouché sur le plan publié en mai qui est destiné aux autorités locales, régionales et nationales de même qu'au public. Le document est proposé comme un guide pour des actions de conservation et de protection des orchidées colombiennes dont plus de 1 500 espèces qui sont endémiques.

Menaces sur les populations

Une orchidée comme emblème floral
source de la photo : http://www.nelocactus.org/Fotos%20orquideas/Cattleya%20trianae-1.jpg
La fleur de l'espèce Cattleya trianae est généralement considérée comme emblème de la Colombie. Toutefois, une recommandation de l'Académie d'histoire colombienne, en 1936, proposant l'adoption de cette fleur comme emblème du pays, n'a jamais été suivie d'une mesure législative qui aurait consacré ce choix de façon officielle. Cependant, dans le plan d'étude et de conservation publié par le ministère de l'Environnement, les auteurs estiment que la recommandation de l'Académie confirmait l'importance de cette espèce pour le pays.
Alors qu'une grande importance est attribuée à cette orchidée comme symbole du pays, dans son ouvrage intitulé Orquídeas en la niebla, Jorge E. Orejuela Gärtner indique que 80 % de son habitat a été perdu.5
 En étudiant l'ensemble des populations d'orchidées de la Colombie en vue de l'élaboration d'un plan de conservation, les chercheurs ont établi qu'au moins 207 espèces sont menacées à des degrés divers (en danger critique, en danger ou vulnérables), selon des données publiées dans le Libro rojo de plantas de Colombia. Volumen 6.8

Les principales menaces qui pèsent sur les populations d'orchidées en Colombie sont la destruction des écosystèmes par la déforestation et la transformation des habitats.

Les orchidées de Colombie, la plupart épiphytes, ont besoin des arbres qui leur servent de support pour s'établir et se développer. Comme dans d'autres régions tropicales, en Colombie, la coupe forestière constitue une des activités humaines les plus dommageables à la survie des espèces. Ainsi, dans le département de Valle del Cauca ne subsiste que 2 pour cent du couvert végétal d'origine9.

La perte de forêts signifie également l'absence de champignons mycorhiziens qui servent à la germination des graines d'orchidées.

Selon Julio Betancur, qui a participé à l'élaboration du plan d'étude et de conservation des orchidées, la déforestation et la fragmentation des forêts colombiennes sont les facteurs les plus dommageables pour les habitats d'orchidées, en particulier dans les écosystèmes andins et les páramos. Épiphytes en majorité, les espèces de ces régions ont un fort lien de dépendance avec les arbres. La division des forêts en secteurs boisés isolés les uns des autres entraîne un manque de continuité qui réduit la mobilité des pollinisateurs et, par conséquent, la pollinisation, ce qui conduit à la disparition d'orchidées. De plus, les fumigations au glyphosate constituent une menace pour les populations d'abeilles euglossines qui pollinisent des orchidées.
Source de la photo :  http://www.asoabo.com/media/k2/items/cache/8097da6161421504ad99a7e5f09e9e69_XL.jpg
À Bogotá, la capitale colombienne, en 2003, les autorités municipales ont choisi l'espèce endémique, Odontoglossum luteopurpureum, comme emblème floral de la ville.6

Julio Betancur souligne qu'en plus de la transformation des habitats, la collecte incontrôlée d'espèces menace leur survie. L'extraction des orchidées de leur milieu naturel pour être vendues dans des marchés et des pépinières du pays contribue à la réduction des populations.

S'ajoute, à ces menaces touchant les orchidées, le réchauffement climatique. Ce phénomène météorologique de grande ampleur pourrait modifier le mouvement des couverts nuageux. En l'absence de forêts qui, dans le cycle hydrologique, jouent des rôles de capteurs et de régulateurs, l'interaction entre les nuages et les forêts est réduite ou bloquée amenant, à plus ou moins long terme, la disparition d'habitats favorables aux populations d'orchidées. Les orchidées étant sensibles aux changements dans leur environnement, les variations de températures contribuent également à la disparition de populations d'orchidées.

De l'importance des orchidées dans la biodiversité

Pour le plan d'étude et de conservation qu'ils ont élaboré, les auteurs ont divisé le territoire colombien en six régions, en tenant compte des caractéristiques propres à chacune: les régions du Pacifique, des Caraïbes, des Andes, de l'Amazonie, de l'Orénoquie et du plateau des Guyanes.
C'est dans la région andine que l'on trouve le plus grand nombre d'orchidées (2542) et 78 % des orchidées endémiques du pays, soit 944 espèces. La plus faible concentration d'orchidées dans l'Orinoquie illustre le fait qu'à une altitude dépassant à peine le niveau de la mer, les habitats sont moins propices à l'établissement et au développement des populations.
Si l'on considère les divisions politiques du territoire, c'est dans le département d'Antioquia que l'on trouve le plus grand nombre d'orchidées, soit 41 pour cent des espèces identifiées dans le pays. Suivent, quant au plus grand nombre d'espèces connues, dans l'ordre, les départements de Cundinamarca, du Valle del Cauca, du Cauca et du Chocó.
Toutefois, certains régions de Colombie demeurent en partie inexplorées malgré leur riche biodiversité. C'est le cas des départements d'Atlántico, de San Andrés et Providencia, et de Sucre. Le manque de connaissances sur les orchidées de ces départements est due à l'insuffisance des ressources monétaires, aux problèmes d'instabilité politique et à la difficulté d'accès au matériel scientifique. Le plan d'étude et de conservation vise à remédier à ces obstacles. Les auteurs du document soulignent que, parmi les limites auxquelles font face les chercheurs, la difficulté d'avoir accès à des données de collecte conservées dans des insti-tutions d'autres pays ne permet pas de déterminer la région où certaines espèces ont été trouvées, en Colombie. Parmi les départements où l'on pourrait découvrir plusieurs autres espèces qui n'ont pas encore été identifiées, Julio Betancur, conservateur de l'herbier national colombien et professeur à l'Institut des sciences naturelles de l'Université nationale de Colombie, signale que le département du Magdalena, où l'on a identifiée la présence de 214 orchidées, pourrait receler des espèces encore non classées, compte tenu de la richesse de l'écosystème de la Sierra Nevada de Santa Marta7. Le chercheur craint, toutefois, que certaines espèces puissent disparaître avant que les scientifiques ne les révèlent à la science.
En somme, la Colombie possède une immense richesse en orchidées, notamment 1 572 espèces endémiques. En consultant le plan d'étude et de conservation, on constate que ce sont les genres Epidendrum, Lepanthes, Stelis et Pleurothallis qui comptent le plus grand nombre d'espèces identifiées.

L'étude des milieux où les orchidées sont présentes amène les chercheurs à réaliser l'importance d'adopter une approche englobant non seulement la végétation mais également les animaux, les insectes et d'autres vecteurs qui contribuent à la pollinisation des orchidées. Sans ces éléments naturels, les orchidées ne peuvent ni survivre ni se reproduire. Ainsi, lorsque des espèces sont réintroduites dans la Nature, il est primordial qu'une solide connaissance du milieu appuie ces efforts afin que la pollinisation soit effective et que les populations se régénèrent.

L'étude des populations

Étape essentielle dans un but de conservation d'espèces d'orchidées, les auteurs du plan d'étude et de conservation souhaitent, dans la poursuite de leurs recherches, tenir à jour leurs connaissances sur l'état des populations d'orchidées, vérifier les estimations du nombre d'individus pour les confirmer ou, le cas échéant, les corriger. Ils souhaitent également mieux connaître les caractéristiques des habitats où les orchidées se développent, de même que l'ampleur des principales menaces pesant sur les populations afin, en bout de ligne, d'établir des stratégies de conservation ayant le meilleur potentiel d'efficacité.

Mesures de conservation

La richesse en orchidées, qui n'est pas encore totalement circonscrite en Colombie, déjà, mérite les meilleurs efforts de conservation. En plus de tenir à jour une liste d'espèces, en se basant sur des publications qu'ils jugent dignes de considération, les auteurs du plan d'étude et de conservation proposent des lignes directrices visant à la conservation des orchidées. Ils précisent les buts et actions qui doivent favoriser le maintien des espèces d'orchidées dans les éco-systèmes.

L'approche proposée comporte trois volets : connaissance, conservation et utilisation des orchidées. En plus de proposer la création de lieux de conservation, parcs et jardins botaniques, les auteurs suggèrent que les espèces les plus menacées fassent l'objet d'un programme de reproduction artificielle.

En plus des utilisations ornementales et médicinales, de même qu'en parfumerie, les scientifiques qui ont préparé le plan de conservation soulignent que les orchidées ont un rôle d'indicatrices de la santé des écosystèmes. Ainsi, la conservation des orchidées est liée à la protection d'habitats où d'autres plantes et la faune peuvent se développer.

Le plan de conservation, élaboré en fonction d'une stratégie s'étendant sur une période de 10 ans, vise, en priorité, à protéger les quelques 200 espèces d'orchidées les plus menacées et celles qui sont endémiques à la Colombie dont le nombre est présentement évalué à 1 572.

Une approche collective
Source de la photo : http://img.eltiempo.com/contenido/estilo-de-vida/ciencia/IMAGEN/IMAGEN-15762958-2.jpg
Julio Betancur, chercheur à l'Institut des sciences naturelles de l'Université nationale de Colombie, est conservateur de l'Herbier national.

Réalisant la nécessité de conjuguer les efforts pour assurer la conservation des orchidées en Colombie, le chercheur, Julio Betancur, souhaite que les producteurs d'orchidées, le milieu scientifique et les autorités législatives travaillent conjointement. Il considère que la reproduction d'espèces dans les pépinières doit obtenir l'appui des jardins botaniques et des sociétés orchidophiles afin que ces orchidées soient mises en marché, réduisant ainsi la pression des collectes dans les habitats.
Source de la photo: http://www.lapatria.com/sites/default/files/styles/620x/public/fotosgaleria/2012/Dic/2012-12-24_2a_559585.jpg?itok=YQYOrSfR
Cyrtochilum betancurii, une espèce nommée en l'honneur du scientifique. Julio Betancur, a fait l'objet d'un court article dans le numéro de mars 2013 de la Gazette orchidophile (page 7).

Par ailleurs, ajoute le scientifique, la reproduction d'orchidées, de façon large, a le potentiel de générer des retombées positives dans les communautés rurales. Les objectifs de multiplication des espèces rendent nécessaire la formation des participants aux tâches de conservation.

En plus de préparer des travailleurs aux opérations horticoles, Julio Betancur considère qu'il est essentiel d'accorder de l'importance à la formation de scientifiques pouvant contribuer à améliorer l'information taxinomique sur les orchidées de Colombie qui est encore largement déficiente. Enfin, conclut-il, des stratégies de réintroduction d'orchidées dans des habitats propices à leur développement doivent être élaborées.

L'avenir

Lorsqu'on lui demande les voies les plus prometteuses pour la conservation des orchidées en Colombie, le chercheur de l'Université nationale souligne l'importance de créer des corridors biologiques. Il souhaite, par ailleurs, que les centaines d'orchidophiles qui cultivent des espèces dans l'anonymat communiquent avec le ministère de l'Environnement ou l'Herbier national dont il est directeur pour partager les renseignements qu'ils possèdent sur les orchidées de la Colombie.
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1 Nom officiel : Ministerio de Ambiente y Desarrollo sostenible de la República de Colombia. 2 https://www.minambiente.gov.co/index.php/component/content/article?id=1772:colombia-pais-con-mayor-numero-de-especies-de-orquideas-en-el-mundo
Betancur, Julio; Helena Sarmiento ; Laura Toro-González ; Janice Valencia – Universidad Nacional de Colombia. Facultad de Ciencias. Instituto de Ciencias Naturales ; Minambiente. Dirección de bosques, biodiversidad y servicios ecosistémicos
2015 Plan para el estudio y la conservación de las orquídeas en Colombia. Bogotá D.C.: Colombie. Ministerio de ambiente y desarrollo sostenible; Universidad Nacional de Colombia. 336 p.
document disponible :
https://www.minambiente.gov.co/images/BosquesBiodiversidadyServiciosEcosistemicos/pdf/Programas-para-la-gestion-de-fauna-y-flora/PLAN_ORQUIDEAS_2015.pdf
3 Pour l'Équateur, on rapporte qu'environ 4 500 espèces d'orchidées ont été identifiées.
http://orchidsinparadise.com.au/Speaker-Jose.html
4 même que référence no 2.
5 Orquídeas en la niebla: orquídeas de los bosques nublados del suroccidente colombiano. Universidad autónoma de Occidente, Cali, 2011.
6 Acuerdo 109 de 2003 (diciembre 29) "por el cual se adopta la Orquidea Odontoglossum Luteopurpureum Lindl como la flor insignia de Bogotá Distrito Capital" http://www.alcaldiabogota.gov.co/sisjur/normas/Norma1.jsp?i=11016
Le nom accepté pour l'espèce est Oncidium luteo-purpureum (Lindl.) Beer, Prakt. Stud. Orchid.: 288 (1854).
7 http://www.eltiempo.com/estilo-de-vida/ciencia/orquideas-tienen-plan-para-estudiarlas-y-conservarlas/15762796
8 Calderón-Saenz E.
2007 Libro rojo de plantas de Colombia. Volumen 6: Orquídeas, primera parte. Serie de Libros Rojos de Especies Amenazadas de Colombia. Bogotá, Colombia. Instituto Alexander von Humboldt- Ministerio de Ambiente, Vivienda y Desarrollo territorial. 828 p.
9 http://www.colombiaaprende.edu.co/html/investigadores/1609/article-227408.html

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