lundi 31 octobre 2011

Pogonia ophioglossoides

Quelque part dans une tourbière du Missouri

par Viateur Boutot

La restauration des habitats est un sujet qui peut susciter la controverse alors que les intervenants choisissent d’avoir recours à des techniques parfois drastiques.

Un projet dont l’objectif premier était de ramener le lézard à collier (Crotaphytus collaris collaris)1 dans son habitat, dans les monts Ozarks, au Missouri, a eu, indirectement, l’avantage de créer un milieu favorable à la résurgence de l’espèce Pogonia ophioglossoides.

La réalisation du projet, initié par Alan R. Templeton, professeur de biologie à la faculté des Arts et Sciences à l’Université Washington à Saint-Louis, au Missouri, a nécessité le brûlis de montagnes et de vallées entières, une technique appelée brûlis à l’échelle du paysage.

Cette intervention, bien que jugée radicale, a non seulement favorisé le rétablissement des populations de lézards mais a également bénéficié à plusieurs espèces animales et végétales, notamment à une orchidée des tourbières, Pogonia ophioglossoides.

Caractéristiques des monts Ozarks

Les hautes-terres des monts Ozarks ont été formées, il y a environ 300 millions d’années, par la collision de la plate-forme continentale de l’Amérique du Sud avec la plate-forme de l’Amérique du Nord.

En raison de leur élévation, les hautes-terres des monts Ozarks n’ont pas été inondées par les mers comme les régions environnantes ni raclées par les glaciers comme dans l’ensemble du continent.

La vie ayant évolué dans des conditions différentes dans les monts Ozarks sur une période de quelque 250 millions d’années, la région est un centre d’endémisme, situation peu fréquente en région tempérée. En effet, les centres endémiques, où se sont développées des populations végétales adaptées à des milieux aux caractéristiques particulières, sont habituellement situés en région tropicale. Ainsi, on estime qu’il existe dans les monts Ozarks plus de 200 espèces qu’on ne trouve nul part ailleurs.

Lutte contre les incendies de forêt

Dans la région des monts Ozarks, il n’y avait pas, avant le milieu des années 1940, de lutte efficace contre les incendies de forêt. À partir de cette époque, on installa des tours d’observation et le service de protection des forêts commença à combattre les incendies de façon systématique.

En conséquence, les clairières, n’étant plus balayées périodiquement par le feu, ont été progressivement envahies par le genévrier de Virginie, Juniperus virginiana. Une fois que les genévriers atteignent une grande taille, l’ombre qu’ils projettent entraîne la diminution des populations végétales de l’ensemble des clairières.

Le professeur Templeton fait remarquer que, lorsqu’un incendie de forêt rase une clairière, sous le niveau du sol, la biomasse de la plupart des plantes échappe au feu. Les systèmes racinaires peuvent survivre pendant des décennies et lorsque la clairière est de nouveau exposée au soleil, les plantes reprennent vie rapidement.

Bataille pour le feu

Ayant constaté que les forêts entourant les clairières empêchaient l’augmentation des populations de lézards réintroduits dans la région, Templeton préconisa un brûlis à l’échelle du paysage.

À compter de 1992, un groupe d’intervention sur la biodiversité dont faisait partie le biologiste recommanda le brûlis à l’échelle du paysage. Cette technique de gestion des populations végétales, contrairement aux brûlis supervisés dans des espaces limités, consiste à faire brûler un paysage complet, y inclus clairières, prairies, forêts et tourbières.

Templeton et ses collègues préconisaient cette technique en argumentant que, pendant des siècles, les feux de forêt spontanés couvraient de vastes étendues de territoire. Cette proposition suscita de vigoureuses protestations comparables à une tempête de feu.

Les gardes forestiers estimaient qu’une telle pratique iraient à l’encontre de leurs principes de défense des forêts. Pour leur part, les écologistes y voyaient une tentative de manipulation de la Nature.


Après des débats intenses, le premier brûlis fut réalisé au printemps de 1994. Cinq ans plus tard, la zone d’intervention fut étendue pour inclure toute la montagne Stegall de même que des montagnes et vallées adjacentes.


Templeton estime que le travail effectué dans les monts Ozarks démontre que la gestion à l’échelle du paysage permet la restauration de processus écologiques et qu’il s’agit de la meilleure façon d’assurer la conservation des espèces originelles.

Les résultats des brûlis

Les chercheurs constatèrent que, rapidement, après les brûlis, des changements positifs survenaient dans l’environnement. D’une part, une fois les broussailles détruites par le feu, les arbres constituant la canopée ayant survécu aux brûlis avaient une croissance plus vigoureuse, ce qui réjouit les responsables de la protection des forêts.

Le passage du feu entraîna la disparition d’espèces invasives, la libération de nutriments, et un ensoleillement favorisant la résurgence d’espèces endémiques. Cette renaissance s’accompagna de l’augmentation des populations d’insectes à la grande satisfaction des écologistes.



La technique du brûlis, utilisée dans les monts Ozarks pour gérer l’habitat des espèces, permet l’élimination de la végétation sèche, évite l’invasion d’espèces invasives et favorise la renaissance d’espèces endémiques.

Lors des brûlis, Templeton a observé, dans les tourbières, des murs de feu de plus de 5 mètres de hauteur. Il a par la suite constaté qu’une fois la végétation à la surface des tourbières détruite par le feu, des espèces endémiques dans la région des monts Ozarks telles que Pogonia ophioglossoides émergent rapidement.


Dans une clairière de la montagne Shut-in, dans les monts Ozarks, Pogonia ophioglossoides réapparaît après un brûlis.

Le biologiste admet que l’intervention menée dans les monts Ozarks comportait une part d’incertitudes. Il affirme toutefois que, dans le domaine de la biologie de la conservation, des actions doivent être menées même si les connaissances sont incomplètes et que l’inaction peut signifier la disparition d’espèces menacées.

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1 Templeton, Alan R, Hilary Brazeal, and Jennifer L Neuwald.

2011 The transition from isolated patches to a metapopulation in the eastern collared lizard in response to prescribed fires. Ecology 92:1736–1747.

Article disponible en ligne : http://www.esajournals.org/doi/pdf/10.1890/10-1994.1







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