mercredi 17 mars 2010

Le cas de Platanthera leucophaea

Développement urbain et habitat

par Viateur Boutot

Les règlements qui devraient permettre de protéger une orchidée rare, au Canada et aux États-Unis, suscitent un débat sur les droits fonciers dans la zone rurale d’Ottawa, la capitale canadienne.
Dans un article publié récemment, le quotidien The Ottawa Citizen1 rapporte que des propriétaires de terrains où l’on estime pouvoir trouver une orchidée de milieux humides, Platanthera leucophaea², refusent à des inspecteurs l’accès à leur propriété.
Depuis février 2010, de nouveaux règlements découlant de la législation provinciale3 sont entrés en vigueur dans le but, notamment, de protéger des espèces fragiles telles que Platanthera leucophaea4.
Platanthera leucophaea est une orchidée rare dans l’ensemble de son aire de distribution, au Canada et aux États-Unis. On trouve ses populations les plus importantes dans quatre localités de la province de l’Ontario. Une de ces localités est la forêt Marlborough, au sud-ouest d’Ottawa. Les botanistes estiment que son habitat s’étend probablement aux milieux humides proches, à Huntley, March, Goulbourn, Gloucester et Fitzroy Harbour.

Nom commun
Platanthère blanchâtre de l'Est

Nom scientifique
Platanthera leucophaea (Nutt.) Lindl.
Orchidée de grande taille à feuilles alternes lancéolées, Platanthera leucophaea produit un épi de 10 à 40 fleurs blanchâtres à labelle bien
différencié, frangé et longuement prolongé en éperon.
Autrefois répandue dans le nord-est des Etats- Unis, particulièrement abondante au sud des Grands Lacs, son aire de répartition s'étend vers le nord jusque dans le sud de l'Ontario.
Platanthera leucophaea se rencontre principalement dans les prairies mésiques (couche organique moyennement décomposée), les tourbières minérotrophes (milieu humide couvert de tourbe, dont la nappe phréatique se situe au niveau de la surface du sol ou juste au-dessus) et les champs abandonnés.


Source de l'image :
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/4/46/Platanthera_leucophaea.jpg

Craignant que la découverte de l’orchidée ne conduise à des restrictions quant à l’utilisation de leurs terres, plusieurs propriétaires fonciers de la région d’Ottawa ont refusé l’accès à leur propriété à des chercheurs qui voulaient vérifier si l’espèce se trouvait sur leur terrain.
Certains propriétaires considèrent que les règlements relatifs à la protection des espèces sont souvent limitatifs, les empêchant même, disent-ils, de circuler librement sur leurs terres, sans compensation. L’ex-président d’une association de propriétaires a déclaré : « Nous avons affaire à une bande de bureaucrates gouvernementaux stupides qui nous disent quoi faire »5.

Pour sa part, le coordonnateur d’une organisation vouée à la conservation des habitats, Tallgrass Ontario, Kyle Breault, a indiqué que certains propriétaires veulent passer leur terrain au bulldozer pour la construction de résidences ou d’édifices commerciaux. Il a cependant précisé que les règlements visant à protéger les espèces menacées n’interdisent pas l’exploitation agricole.
Souhaitant que les propriétaires, les défenseurs de l’environnement et les employés gouvernementaux puissent travailler ensemble pour la protection des espèces menacées, monsieur Breault préconise une approche éducative. Il estime qu’il convient d’informer d’abord les propriétaires de la possible présence de l’orchidée menacée sur leur terrain et de leur offrir, par la suite, la collaboration de son organisation pour la protection de l’habitat de l’espèce.

La nouvelle réglementation rend illégale la destruction des orchidées ou les actions portant atteinte à l’habitat ou le détruisant. L’habitat de Platanthera leucophaea comprend notamment des marais, des prairies à herbes hautes et des champs humides abandonnés.
À l’été 2009, des chercheurs de l’organisation Ottawa Stewardship Council (OSC), en collaboration avec le ministère des Ressources naturelles de l’Ontario, ont effectué un relevé de terrain pour cartographier la distribution de l’espèce dans la région d’Ottawa.
Une partie de l’habitat de Platanthera leucophaea est situé sur des terres publiques.
Toutefois, la majeure partie de l’habitat se trouve sur des terres privées. Or, seul 3 des 16 propriétaires de terrains ont autorisé les chercheurs à vérifier si l’orchidée était présente sur leurs terres.

Dans un rapport de l’OSC publié en septembre 2009, les auteurs soulignent que la plupart des propriétaires de terrains privés craignaient que, si l’on trouvait l’orchidée sur leur propriété, l’utilisation de leurs terres serait éventuellement compromise, en particulier pour le développement urbain, alors que la désignation provinciale de milieu humide d’importance impose déjà certaines restrictions. Au cours des dernières années, avec la forte croissance de la valeur des propriétés dans la région d’Ottawa, cette préoccupation s’est accrue.
Monsieur Breault reconnaît que le gouvernement provincial n’est pas en mesure d’intervenir si les propriétaires refusent l’accès à leurs terres. Par contre, si l’on suppose que leur propriété fait partie de l’habitat d’une espèce menacée, il devient beaucoup plus difficile pour le propriétaire foncier d’obtenir un permis de construction. Le cas échéant, de sévères amendes peuvent être imposées aux personnes qui, sciemment, détruiraient l’habitat d’une espèce menacée.

Dans l’espoir de diminuer les tensions entre les propriétaires et les défenseurs de l’environnement, le ministère des Ressources naturelles de l’Ontario a tenu des rencontres publiques6.
Une biologiste du ministère des Ressources naturelles de l’Ontario, Paula Norlock, spécialiste des espèces menacées, a signalé que le Ministère n’avait pas, en général, le droit d’entrer sur une propriété privée à moins que des agents de protection n’aient à intervenir. Elle a toutefois tenu à préciser que rien ne permettait de croire que des actes répréhensibles étaient commis sur les propriétés auxquelles les chercheurs n’ont pas eu accès.
Madame Norlock a indiqué que, dans le contexte actuel, aucune mesure de rétorsion n’était envisagée à l’encontre des propriétaires ayant refusé l’accès à leur terrain. Par contre, même si le Ministère ignore si Platanthera leucophaea se trouve sur les terrains auxquels les chercheurs n’ont pas eu accès, la biologiste a précisé que, dans un esprit de coopération, une équipe de chercheurs pourrait inviter les propriétaires à participer aux efforts de protection de l’espèce.

En plus de l’appât du gain lié au développement urbain, la responsable pour l’Amérique du Nord du Groupe de spécialistes des orchidées, Marilyn Light, signale que d’autres menaces contribuent à rendre précaire la survie de Platanthera leucophaea.
Elle mentionne notamment que les pratiques liées à l’utilisation de la terre et l’assèchement des milieux humides par drainage contribuent à réduire l’habitat de l’espèce. Elle ajoute que, si l’on peut protéger l’espèce contre le développement urbain, d’autres facteurs tels que la sécheresse, le broutage par des herbivores, de même que la perte ou l’absence de pollinisateurs constituent des menaces plus difficiles à contrôler7.

1) http://www.ottawacitizen.com/
2) Platanthera leucophaea (Nutt.) Lindl. Gen., Sp. Orchid. Pl.: 294 (1835)./ Platanthère blanchâtre de l'Est
Synonymes :
Orchis leucophaea Nutt. [basionyme]. Trans. Amer. Philos. Soc., n.s. 5: 161 (1835).
Habenaria leucophaea (Nutt.) A.Gray, Manual, ed. 5: 502 (1867).
Blephariglottis leucophaea (Nutt.) Rydb. in N.L.Britton, Man. Fl. N. States: 296 (1901).
Fimbriella leucophaea (Nutt.) Butzin, Willdenowia 11: 324 (1981).
3) Loi de 2007 sur les espèces en voie de disparition. http://www.e-laws.gov.on.ca/html/statutes/french/elaws_statutes_07e06_f.htm
4) Les menaces à la survie de l’espèce donnent lieu à des statuts qui diffèrent d’une organisation à l’autre, du moins par l’expression utilisée pour les désigner. NatureServe Canada (réseau pour la science et la conservation) désigne Platanthera leucophaea comme une « espèce à risque ».
www.natureserve.org/publications/La_terre_de_nos_aieux_Francais.pdf Pour sa part, le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada considère que l’espèce est « en voie de disparition » http://www.cosewic.gc.ca/
5) Tony Walker, Goulbourn Landowners’ Association [notre traduction].
6) http://www.ottawacitizen.com/
7) Communication personnelle (courriel), 3 janvier 2010